Vous avez dit "liberté" ?
Peut-on être libre lorsqu'on se retrouve alité dans une chambre d'hôpital, perfusé, intubé, entravé par ces tuyaux apendiculaires, extensions monstrueuses de notre corps devenu étranger à nous même ? Lorsque la position allongée nous contraint à lever le regard vers ces hommes et ces femmes, debouts à notre chevet, qui touchent, palpent, pansent, lavent cette chair que nous tenions jusque là cachée ? Lorsque notre intimité, condition de notre dignité d'humain, est violée par nécessité, pour notre sauvegarde, certes, avec notre accord implicite, mais donné du bout des lèvres ?...
C'est à cette question sensible que Françoise Jaulmes a tenté de répondre ce mardi 20 mars, apportant son regard de médecin anesthésiste et son expérience dans le traitement de la douleur et dans les soins palliatifs pour montrer comment le personnel médical peut aménager un espace de liberté autour du patient.
Si on définit la liberté comme la possibilité d'agir sans contrainte, alors une conclusion s'impose : la maladie est une aliénation et une privation de liberté ! Elle nous coupe dans notre élan, modifie nos projets. Elle dresse un mur sur notre route pour en faire une impasse. Elle éclabousse nos vies en imposant son propre rythme, au mépris de nos désirs, de nos emplois du temps, de nos rendez-vous urgents, de nos affaires en cours. La maladie renverse nos priorités pour devenir le centre absolu de notre vie.
On ne négocie pas avec la maladie !
Comme le rappelle Françoise Jaulmes, la législation a néanmoins cherché à définir un cadre permettant au malade d'exercer son libre arbitre, un peu comme s'il fallait compenser par la loi la dure réalité qui s'impose au malade. En réalité, on est tenté de penser que la prise en compte de la volonté du malade trouve son origine dans la judiciarisation de la médecine : l'information alarmiste sur les effets secondaires d'une opération qui accompagne les formulaire d'autorisation à signer par le malade avant un intervention chirurgicale est emblématique de la confusion qui peut naître entre le respect de la volonté du malade et le désir légitime des médecins d'échapper à des poursuites en cas d'accident grave sur la table d'opération.
Ce n'est donc pas là que se situe la vraie liberté du malade. Et Françoise Jaulmes le sait bien : c'est ailleurs qu'elle la trouve, dans une relation construite patiemment entre le patient et son médecin, soucieux de délivrer une parole honnête qui ouvre sur un avenir : comme elle le dit elle-même, une personne souffrant d'une maladie incurable doit pouvoir vivre pleinement le temps qui le sépare de sa fin. La liberté n'est alors plus celle de choisir un traitement - choix dérisoire dès lors que toute thérapie a montré son inefficacité - mais celle de pouvoir exprimer sa souffrance, ses angoisses, ses peurs auprès d'une personne capable d'écouter et d'entendre, et de pouvoir choisir la vie en sachant que l'équipe soignante est prête à accompagner le patient dans ce qu'il traverse, quelle qu'en soit l'issue.
En somme, la vraie alternative est celle qui concerne le statut du malade : est-il un corps, amas de cellules, objet organique réagissant ou non à un traitement ?... Il n'a alors que le choix de subir, sans jamais pouvoir exprimer sa souffrance, soumis à l'expertise technique de praticiens retranchés derrière un jargon abscons. Mais il suffit qu'un dialogue s'instaure entre patient et personnels soignants, avec de part et d'autre une confiance mutuelle, un désir de comprendre rencontrant un désir d'expliquer pour que naisse cet espace de liberté qui est la condition d'une restauration de l'humain.
Car s'il faut parler de liberté, on peut admettre sans peine qu'elle doit mettre en jeu les deux parties - patients et équipe médicale. Cette relation de confiance introduit de la symétrie dans une relation qui semblait disymétrique entre l'expert et l'objet d'expertise. Elle demande un fort investissement de la part du médecin, mais n'est-ce pas la meilleure façon d'exercer ce magnifique métier ?
Pour illustrer cette symétrie dans le rapport à la liberté dans la maladie, j'évoquerai l'anecdote transmise par Nicole Keller, aumônier des hôpitaux, qui animait le débat : évoquant avec un malade et son médecin cette question de la liberté dans la maladie, le médecin lui a dit : "Patient et médecin ont la liberté d'un bouchon de liège : il s'agit pour eux de rester à la surface !"
Le débat a ensuite permis d'aborder rapidement des questions d'éthique comme l'euthanasie ou le non respect de la volonté des malades dans des cas particuliers. Il a aussi été question de la dérive techniciste de la médecine française.
Mais une auditrice a noté que le débat avait porté surtout sur le couple médecin-malade : elle a rappelé avec justesse que les infirmiers et aide-soignants avaient des rapports beaucoup plus fréquents avec les patients. Ils sont l'interface entre la maladie et le patient et jouent un rôle capital dans la confiance qui peut naître ou non entre le malade et l'équipe médicale. Un sourire, une explication donnée au bon moment, une écoute judicieuse, un shampoing proposé avec gentillesse permettent de reconstruire une estime de soi chez le malade.
Fabienne Chabrolin