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Le Parvis du Protestantisme - Le Blog
1 février 2012

Le talent n'attend pas le nombre des années !

Le talent n'attend pas le nombre des années : cet adage bien connu a été magnifiquement illustré par la maîtrise oratoire de Rémi Caucanas invité mardi 31 janvier des déjeuners du Parvis !

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On ne saurait pourtant prétendre que le sujet était anodin - "L'espace méditerranéen, carrefour du dialogue islamo-chrétien" - ni que le format de nos déjeuners-débats facilite l'expression d'une pensée élaborée, structurée et développée !

Mais Rémi Caucanas, jeune doctorant à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme (MMSH), a tenu en haleine un public attentif avec un mélange d'éloquence, d'esprit de synthèse et de fraîcheur. Une belle performance - sans note... ni micro - portant plus sur la genèse du dialogue islamo-chrétien contemporain que sur les développements ou freins récents à ces échanges.

La richesse et la complexité du thème tient à son inscription dans des champs différents : P1140235le dialogue islamo-chrétien est avant toutes choses celui qui peut naître entre chrétiens et musulmans qui vivent ensemble, dans le même pays. Mais il a également une composante officielle (initiée par les institutions religieuses, surtout catholiques et musulmanes) et une composante académique car il intéresse la recherche universitaire. Enfin, il ne faut pas négliger ce qu'on pourrait appeler le "dialogue des oeuvres" ni le "dialogue spirituel" : si le premier est le domaine de l'action commune, le second qui s'accomplit paradoxalement dans le silence, la méditation et la transcendance, pourrait incarner par sa richesse et sa justesse l'horizon du dialogue islamo-chrétien.

Il ne s'agissait pas pour Rémi Caucanas de remonter à la naissance de l'Islam mais de faire un exposé concis du tour pris par les relations entre Chrétiens et Musulmans au cours du XXème siècle. Relations contrastées, faites surtout de dénigrement des musulmans par les chrétiens qui multiplient les discours dépréciatifs et fondent la thèse d'un Islam responsable de la fracture méditerranéenne entre nord et sud. C'est l'époque de l'expansion coloniale - avant la seconde guerre mondiale - et de l'espoir d'une unité nouvelle enfin recrée autour d'une méditerranée latine. Marseille n'échappe pas à cette fièvre anti Islam, ville portuaire cosmopolite qui refuse de reconnaître ses enfants musulmans.

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Cette aspiration à l'unité méditerranéenne autour du christianisme se nourrit d'un triomphalisme qui naît du colonialisme "civilisateur" et s'appuie notamment au Maghreb sur un courant berbérophile, soutenu par l'église catholique française et hostile aux Arabes : le Dahir berbère, décret signé par le sultan du Maroc sous protectorat français en 1930, consacre la distinction entre Arabes et Berbères. Parallèlement, la même année, le Congrès Eucharistique de Carthage illustre le triomphe du catholicisme au Maghreb.

Procession

Au même moment, Français et Britanniques se battent pour le contrôle du Moyen-Orient, chacun voulant faire valoir ses droits sur les lieux saints, les restes de l'Empire Ottoman. Du contact de l'orient et de l'occident était alors né un courant orientaliste fécond dans le monde des arts et de la pensée. L'église catholique s'inscrit dans ce courant dans le but de parvenir à une reprise en main de l'occident sur cet orient majoritairement musulman.

C'est donc à travers ce triptyque dénigrement-triomphalisme-orientalisme qu'il faut comprendre les forces qui orientaient le regard porté par les chrétiens sur les musulmans au sud de la Méditerranée.

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Au nord, pourtant, une triple crise secoue au même moment la société française majoritairement catholique : crise de la colonisation, crise de la mission, crise de la civilisation. Le désintérêt de la population française pour les enjeux coloniaux, mais aussi pour la mission fait émerger le problème de la laïcisation et de la sécularisation de la société, thèmes qui seront repris lors des "semaines sociales" de 1930 et 1936, tandis qu'au Maghreb surgit une conscience nationale largement adossée à l'Islam - 1928 voit la naissance du mouvement panislamique des "Frères Musulmans".

19952La mission traverse alors une crise financière que ne corrigent pas les appels répétés aux dons. Sur le terrain, elle ne parvient pas à s'implanter face à l'Islam et ne peut que constater son impuissance.

Rémi Caucanas n'a pas eu le temps de développer ce thème : quelle riposte la mission pouvait-elle opposer à cet état de fait ? Il a seulement évoqué les trois modèles alternatifs qui s'imposent alors, incarnés à l'origine par Charles Martial Lavigerie (en Orient, puis au Maghreb), Charles  De Foucault (décédé en 1916) et les moines Franciscains au Maroc.

L'évocation de ce tournant dans la mission fait écho, il me semble, à ce que l'on perçoit dans l'attitude de l'Eglise catholique au Maghreb de nos jours, et à son désarroi face à l'évangélisation active des pasteurs évangéliques - issus du monde protestant. Les journaux télévisés se sont fait l'écho de ces deux conceptions diamétralement opposées, l'une s'appuyant davantage sur "l'imitation de Jésus Christ" et l'autre sur l'injonction de Jésus envoyant ses disciples en mission avant de les quitter : "allez, et faites des disciples..." Il est vrai que la position de domination arrogante de l'occident catholique en Afrique du Nord ne laissait que peu d'alternative pour les représentants de l'Eglise. Peut-être aurons-nous l'occasion lors de déjeuners du Parvis ultérieurs de traiter cette question !

29_pag11La deuxième guerre mondiale a consacré ce tournant dans l'attitude de l'Eglise catholique en balayant les ambitions latines qui s'étaient incarnées dans des leaders-dictateurs de triste renommée : après Mussolini et Franco, il était difficile de défendre les thèses réunificatrices de la Méditerranée.

C'est donc un courant humaniste qui s'impose alors, dont une des figures de proue est Albert Camus. Les acteurs du dialogue islamo-chrétien vont rencontrer ces humanistes. Le patriotisme catholique triomphant a cédé la place à l'humanisme dans sa prétention à devenir le pilier structurant de cette unité méditerranéenne rêvée.

La guerre d'Algérie bouleversera ces lignes : l'indépendance de l'Algérie marque le retour des Pieds Noirs en France et le début d'un immigration importante, en particulier à Marseille. Dans notre ville, la Mission s'oriente alors vers les cités dans une perspective sociale manifeste : alphabétisation notamment et soutien scolaire, en partenariat avec les jeunes catholique du lycée privé "Provence". Parallèlement, un système de coopération se met en place entre les gouvernements par l'envoi de coopérants impliqués dans un système complexe d'aide économique, sociale, humanitaire à destination des pays du Maghreb.

Vatican II ouvre également de nouvelles perspectives de coopération et de développement, subtilement imbriquées. De nombreuses congrégations religieuses marseillaises ou venant d'Orient (Liban) participent à cet élan de mission sociale et de coopération qui se révèlera une composante du dialogue inter-religieux.

L'euphorie des années 60-70 va néanmoins connaître un effondrement du fait de trois facteurs : dieul'instrumentalisation de l'Islam par les pouvoirs politiques (Sadate notamment), la naissance des fondamentalismes religieux et le massacre de Sabra et Chatila en 1982 au Liban, perpétré par les "phalanges chrétiennes". Ce dernier et tragique évènement anéantit l'entente idéalisée entre les Musulmans et les Chrétiens au Liban qui avait vu naître des solidarités nouvelles à la faveur du dialogue islamo-chrétien.

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Il fallait mettre un terme à cet exercice pour permettre le débat : il fut nourri, et très intéressant, à la mesure de l'intérêt suscité par ce brillant exposé.

Un seul regret : le temps nous a manqué pour aborder l'actualité récente, mais je ne doute pas que cet éclairage historique donne des clés pour ouvrir notre intelligence à la compréhension des enjeux du débat isalmo-chrétien contemporain, et, plus largement, à un rapprochement des peuples de la Méditerranée.

Fabienne Chabrolin

Une petite bibliographie sera proposée dans un prochain article.

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Commentaires
M
Sujet très intéressant et très bien relaté, merci Fabienne. Même absent on peut déguster toute la richesse de ce déjeuner-débat.<br /> <br /> Marc
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