Antoine Nouis (2) : DIEU
Il y a une contradiction fondamentale à reconnaître le caractère indicible de Dieu et à tenter de témoigner de ce qu'il est pour soi. Antoine Nouis en a peut-être mesuré la difficulté ce vendredi 27 janvier, lors de la deuxième conférence qu'il a donnée au Parvis du Protestantisme.
Non qu'il ait tenté de livrer sa propre lecture du concept de Dieu - le Dieu d'Antoine Nouis - mais parce qu'il s'adressait à un public nombreux (plus de 90 personnes) : on peut affirmer sans trop se tromper qu'il y avait probablement dans l'assistance des opinions très diverses, des sensibilités variés, des approches de Dieu lointaines ou personnelles, intimes ou distanciées, mais bien souvent mâtinées d'une dose d'anthropomorphisme.
Or, n'est-ce pas précisément ce qu'Antoine Nouis prétendait éviter : dans la tradition d'une théologie descendante, il proposait en effet de s'intéresser à ce que Dieu dit de lui-même dans les écritures. Quitte à heurter l'image que chacun de nous voulait conserver de Dieu, de "son" propre Dieu.
A y regarder de plus près, Antoine Nouis reprend à son compte l'idée que Dieu s'est révélé par étapes, et c'est un choix théologique qui ne va pas forcément de soi. Il rappelle que la Bible montre en premier lieu un Dieu créateur, puis un Dieu qui fait alliance avec sa création, en attendant des humains qu'ils s'impliquent toujours plus dans cette relation qu'il entend établir avec eux, proposant de manière unilatérale alliances sur alliances. Jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ, le Messie, l'envoyé qui révèle quelque chose de l'être de Dieu. La dernière étape, non la moindre, est celle de la croix, scandale absolu, inouï, inacceptable. La croix qui bouleverse les désirs les plus profonds des croyants - eux qui s'étaient forgé l'image d'un Dieu aussi puissant qu'ils étaient faibles.
Et n'est-ce pas là la clef de voute du message d'Antoine Nouis : ce que Dieu dit de lui-même - ce qu'il veut nous faire comprendre - ne fait-il pas toujours violence à nos idées préconçues ? Mais sommes-nous prêts à prendre le risque d'abdiquer la tentation de modeler Dieu à notre image ou nos désirs ? Comme la croix a frappé de stupeur les disciples de Jésus, renoncer à conformer Dieu à notre image n'est pas une démarche naturelle et nous laisse orphelins de nos fantasmes.
Néanmoins, on peut regretter que la règle du jeu soit restée implicite. Car la lecture du discours de Dieu sur lui-même dans la Bible - ancien et nouveau testaments - est en elle-même un discours sur Dieu - une "théologie". Et la théologie de l'alliance qui nous a été proposée n'est qu'un courant de pensée qui a été critiqué, adopté par les uns, rejeté ou corrigé par les autres. Elle résout certains problèmes en en pose d'autres : ainsi, elle s'accorde bien avec la vision d'une humanité en progrès, dans une conception linéaire du temps, qui fut hélas mise à mal par les évènement tragiques et meurtriers du XXème siècle.
Antoine Nouis a beau jeu de rétorquer que cette idée d'une humanité gagnant en maturité peut être comprise de manière symbolique - l'individu avançant et reculant de manière un peu chaotique, tour à tour Noé, Abraham ou Moïse dans sa relation personnelle avec Dieu. Son approche ne répond pas aux questions aussi essentielles que : pourquoi le mal existe-t-il, comment concevoir l'absence de temps ? Qu'en est-il de la Trinité, de la paternité de Dieu ? Mais, en 30 minutes, qui en aurait été capable ?
A ces questions venues du public, Antoine Nouis a néanmoins tenté de répondre dans la troisième partie de la soirée : c'est un temps assez savoureux de réaction à chaud auquel notre invité se prête avec aisance. Ainsi, il préfère substituer la question "pourquoi le bien existe-t-il ?" à celle qui domine pourtant dans notre monde : "pourquoi le mal existe-t-il ?", substitution qui s'apparente un peu à une pirouette ! Mais il a également rappelé en quoi la figure du père se distinguait de celle du géniteur : si le second se contente d'engendrer un descendant, le père construit avec lui une relation qui, à l'image des alliances progressives entre Dieu et les humains, passe de la dépendance totale à l'autonomie dans l'amour réciproque.
L'amour : le maître-mot, la cause de tout. Selon Antoine Nouis, c'est bien le moteur de l'action de Dieu envers les hommes. Et il propose une définition de l'amour : c'est un acte, non une émotion, mais bien ce que je fais pour permettre à l'autre de grandir.
Fabienne Chabrolin