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Le Parvis du Protestantisme - Le Blog
6 décembre 2012

Saint Grégoire de NAREK : comme s’il était là…

Le docteur Raffi DELANIAN, Délégué de l’Eglise Arménienne Apostolique au Comité Œcuménique de Marseille, était l’invité ce 27 novembre du Parvis du Protestantisme pour parler de Grégoire de Narek, poète et philosophe d’Arménie du 11ème siècle dans le cadre de « La poésie comme le langage de la mystique ». Frédéric KELLER animait ce débat.

Avant de parler de ce grand poète, « l’Illuminateur », Raffi DELANIAN a brièvement évoqué l’histoire de l’Arménie, trop riche  historiquement et religieusement pour ne connaitre qu’un petit débat. Ce n’était d’ailleurs pas le sujet. Ne résistons pas toutefois à écrire quelques lignes sur l’histoire de l’Arménie. L'Arménie actuelle n'est qu'une petite partie de la Grande Arménie, dont l'histoire témoigne de la fidélité d'une nation qui fut la première à adopter officiellement le christianisme. Car avant Rome, avant Akxoum, l'Arménie s'est proclamée pays chrétien en l'année 301. L'Arménie, c’est tout à la fois une terre, meurtrie dans les siècles d'histoire, un peuple, et un sentiment religieux, une adhésion spirituelle qui se confondent avec l'identité patriotique, aujourd'hui ressoudée par le génocide (c’en est un, n’en déplaise aux Turcs) dont ce peuple fut victime lors de la première guerre mondiale. Très isolée, coincée, entre les Byzantins et les Perses, tantôt sous la domination des uns tantôt sous celle des autres, elle a connu de nombreux envahisseurs, mais elle leur a toujours résisté comme ce fut le cas lors des invasions mongoles. Son histoire est marquée par la bataille d'Avarayr ou d'Avaraïr, connue également sous le nom de bataille de Vartanantz, une des grandes batailles de l'histoire de l'Arménie. Elle a opposé le 26 mai 451 les rebelles arméniens menés par Vardan Mamikonian et leurs suzerains sassanides. Bien que les Perses soient victorieux, les Arméniens réussissent à assurer leur indépendance religieuse. « On va être les piliers de la foi, le rempart de l’occident et c’est une victoire spirituelle ». Le docteur Raffi DELANIAN, qui se dit avec humour « spécialiste de rien », a écrit une très belle thèse sur l’Arménie. Ce préambule établi, passons à Grégoire de Narek.

 UN POETE OUVERT AU CIEL ET A L’HOMME

Saint Grégoire de Narek est le grand auteur mystique que l'Église d'Arménie a donné à la tradition chrétienne. Son expression poétique vigoureuse le fait comparer à Saint Jean de la Croix, dont il serait très proche. Ce saint moine vécut de 944 à 1010 environ au monastère de Narek sur la rive sud du lac de Van (actuellement en Turquie). Les églises de tradition arménienne le fêtent le 25 février. Pour mémoire, l'Eglise apostolique d'Arménie est née de l'évangélisation des saints apôtres Thaddée et Barthélemy. C’est une Église orientale et autocéphale, faisant partie de l'ensemble dit « des Églises des trois conciles ».

Qui est donc Grégoire ? C’est un grand érudit, passionné de mathématique, de grec, avec un penchant pour l’église byzantine grecque, un mystique de tous les jours, un esprit curieux, qui défend ce point de vue : « la loi est faite pour l’homme ». Pourquoi est-il resté si populaire ? Il comprend la vie tout simplement.  Son père, veuf, était devenu évêque alors que Grégoire et ses frères étaient encore dans leur très jeune âge. Ils furent donc confiés aux soins du monastère où ils vécurent, semble-t-il, toute leur vie. Il devint prêtre et peut-être higoumène de son monastère. Il eut, d’après le synaxaire arménien une grande influence comme réformateur de son monastère ce qui lui valut quelques ennuis avec les autorités allant jusqu’à le faire soupçonner d’hérésie comme le montre cette charmante légende : « Les évêques et les princes envoyèrent une délégation d’hommes sûrs auprès de Grégoire afin qu’ils l’amènent à leur tribunal pour être interrogé sur sa foi. Les délégués arrivés à Narek, Grégoire comprit immédiatement leurs intentions. Il leur dit : « Mettons-nous d’abord à table, avant de prendre la route. » Il fait rôtir deux pigeons et les place devant ses hôtes. C’était un vendredi. Ceux-ci, scandalisés, furent plus convaincus que jamais que ce qu’on rapportait de Grégoire était vrai. Ils lui dirent donc : « Maître, n’est-ce pas vendredi aujourd’hui ? » Le Saint, comme s’il l’ignorait, leur répond : « Excusez-moi, mes frères. » Et se tournant vers les pigeons : « Levez-vous, dit-il, retournez à votre volière, car aujourd’hui c’est jour d’abstinence. » Et les oiseaux, retrouvant vie et plumes, s’envolèrent. A ce spectacle, les envoyés tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon. Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les avaient délégués. Comment ne pas penser à Notre Seigneur Jésus Christ, qui lui aussi, connut ces « désagréments » ?  Son œuvre la plus célèbre est son recueil de Prières dont la liturgie arménienne a tiré trois extraits qui sont utilisés l'un lors du Sacrifice de la messe, l'autre dans la prière des Complies et le dernier comme prière à lire sur les malades. Autre signe de l'influence durable de ces prières sur les Arméniens : jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, après avoir appris l'alphabet et lu les Psaumes, les élèves en recevaient un exemplaire et devaient en apprendre de larges extraits par cœur... Les thèmes principaux de l'œuvre de S. Grégoire :

- la solidarité dans le péché,

- la confiance en la Miséricorde divine malgré la nécessité absolue du combat spirituel,

- et enfin, l'amour de la vie mystique.

Des œuvres de jeunesse, les Odes et le Livre des Prières (ou des Lamentations) que le poète mystique acheva juste avant de mourir. Il s’agit de la première grande œuvre poétique arménienne à être dégagée des contraintes de la liturgie.

Grégoire de Narek reste la figure la plus prestigieuse de l’ancienne poésie arménienne et l’un des plus grands poètes mystiques de tous les temps. Sa renommée exceptionnelle découle essentiellement de son Livre des Prières – appelé aussi Livre des Lamentations -, achevé il y a tout juste 1000 ans et de ses Odes. Vive apologie de la religion chrétienne, explication lyrique des Écritures, en symbiose avec la voix des Prophètes et la Parole évangélique, l’œuvre de Grégoire de Narek chante également un temps et un lieu précis, l’Arménie du Xe siècle, « dont les montagnes s’élèvent vers le ciel comme de gigantesques « pierre-croix » plantés à la gloire du Christ » - l’Arménie qui fut le premier royaume chrétien, l’Arménie païenne aussi, dont Grégoire cultive la mémoire en même temps qu’il la transfigure. À l’écoute du passé, Grégoire demeure aussi attentif et ouvert au monde environnant.  Il parle de l’émotion que le poète donne à l’être humain.

DOMINIQUE SORANTE : TEMOIGNAGE D’UN POETE

Il a « rencontré » Narek grâce aux EDITIONS ORPHEE qui ont édité le Livre des Lamentations : « Ce qui fait l’essence de sa poésie, une puissance de renversement, une énergie, une remontée vers Dieu, la présence de l’homme et de la femme indissociable dans sa présentation du monde. Cet homme a réussi dans son expression à remuer quelque chose dans le cœur et l’esprit des gens qui l’entouraient et cela au-delà de lui-même. Il y a un fil rouge de remontée vers Dieu et le style de Grégoire a des vertus médicinales. Le pouvoir d’un texte de 1 000 ans, qui a traversé le désert ». C’est dire que NAREK devient par le pouvoir de sa pensée une part d’éternité.

LE TEMPS LE PLUS EMOUVANT DE CE DEBAT : LE « NAREK » D’UNE AIEULE

Le docteur Raffi DELANIAN avait emporté avec lui « le NAREK » que son arrière grand-mère portait sous sa ceinture brodée en fuyant les persécutions. Elle portait le Christ et celui-ci la protégeait. Un livre, dont les pages se tiennent ensemble plus de 1000 ans plus tard, presque par miracle, et qui a été ouvert des milliers de fois pour y trouver du réconfort : quelle plus belle preuve de l’amour de Dieu !

A propos de la liturgie arménienne :

Elle est faite pour être vécue : tous les sens sont en alerte, le corps bouge sans cesse, les couleurs éveillent l’esprit, il existe un beau rituel autour de l’autel, on s’embrasse, tout se vit dans l’émotion, un baiser de paix est donné à deux célébrants… le temps n’existe plus.

Raffi DELANIAN clôture : « Grégoire a mis le doigt sur l’être humain » et c’est assurément l’une des raisons qui assure au poète mystique de rester aussi vivant.

Solange Strimon

PS : n’hésitez pas à écrire si quelques erreurs d’interprétation ont été commises – d’avance, je prie Raffi DELANIAN et le Pasteur KELLER d’accepter mes excuses.

En complément : une prière de St Grégoire de Narek à la Mère de Dieu

 Que s’élève par moi ton honneur
Et mon salut éclatera par toi,

Si tu viens à me retrouver, Mère de Seigneur !
Si tu me prends en pitié, Vierge sainte,

Si tu changes en profit ma perte, Vierge immaculée,
Si tu guéris ma ruine, Vierge bienheureuse,

Si tu laisses avancer ma honte, Vierge pleine de grâces,
Si tu plaides mon désespoir, Vierge toujours pure,

Si tu me reçois sous le toit dont je fus chassé, Vierge honorée par Dieu,
Si tu m’entoures de ta piété, Vierge qui détruit la malédiction,

Si tu apaises ma tempête, Vierge du repos,
Si tu mets fin aux violentes tourmentes, Vierge pacifique,

Si tu répares mes erreurs, Vierge de louanges,
Si tu entres pour moi dans l’arène, Vierge qui repousses la mort,

Si tu changes en douceur mon âpreté, Vierge suave,
Si tu brises le mur qui me sépare, ô Vierge du pardon,

Si tu dissipes mes souillures, Vierge dont le pied écrase la corruption ;
Si tu m’ôtes au trépas, à quoi je suis livré, lumière vivante,

Si tu coupes le bruit de mes sanglots, Vierge d’allégresse,
Si tu me fortifies, lorsque je suis brisé, remède du salut,

Si tu considères ma ruine, temple de l’esprit,
Si tu viens vers moi avec compassion, Mère qui fus léguée

Et qui seule est bénie sur les lèvres sans tache dans la bouche des bienheureux.
Une goutte de lait de ta virginité

Rend vigueur à ma vie en pleuvant sur mon âme,
Ô Mère du Très-Haut, du Seigneur Jésus,

Créateur du ciel et de la terre entière,
Que tu as mis au monde, inexplicablement,

Avec une vraie chair, une divinité sans faille,
Gloire à lui, comme au Père, et avec l’Esprit Saint,

Dans son essence et dans notre nature, qu’il réunit indescriptiblement,
Tout dans le tout, Un de la Trinité,

Loué soit-il dans les siècles des siècles,

Amen.

Saint Grégoire de Narek (XI° siècle)
Traduction  par Annie et Jean-Pierre Mahé, Ed. Peeters, 2007; p. 372 §3

 

 

 

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